Climat Et Résilience: Un Projet De Loi Insoutenable Pour Beaucoup De PME

Politiques et chefs d’entreprises de transport routier s’opposent sur les moyens de réduire l’impact environnemental de leurs activités. Parmi ces mesures: la possibilité pour les régions et départements de mettre en place une écotaxe sur certains axes et la fin de l’exemption fiscale sur le gazole routier d’ici 2030.

Concernant l’écotaxe :

La présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse y est favorable. Elle servirait à financer l’entretien des routes, à installer des bornes de recharge et à « aider au verdissement des flottes de poids lourds ».  François Durovray, président du Conseil départemental de l’Essonne, est également favorable à cette écotaxe pour une raison plus directe : faire contribuer les poids lourds et surtout les poids lourds étrangers au financement des infrastructures. 40% des camions circulant en Ile de France sont immatriculés à l’étranger et les ¾ d’entre eux ne font pas le plein en France et ne pas participent pas à travers la taxe sur le gazole routier au financement des routes.  En Alsace la droite et les écologistes souhaitent aussi l’expérimenter pour compenser le report des poids lourds étrangers sur le réseau français et s’aligner sur la taxe allemande.

Si les objectifs visés sont louables, le moyen utilisé est décrié par les fédérations de transport :

Florence Berthelot (Déléguée Générale de la FNTR) alerte le gouvernement dans son édito du 18/02 Résilience | FNTR sur « les effets secondaires (de cette écotaxe). Si des Régions frétillent déjà à l’idée d’encaisser des sous, qu’elles y réfléchissent bien à deux fois : entre des industries ou des activités commerciales qui vont s’installer dans des régions sans écotaxe, ou le coup de massue pour leurs transporteurs locaux (…) ».

Alexis Degouy (Délégué Général de l’Union TLF) estime dans son édito du 05/02 « Contreproductive (cette mesure) parce que la rentabilité des entreprises de TRM (moins de 1 milliards par an) serait anéantie par la suppression du mécanisme de ristourne de TICPE ».

Qu’en disent les premiers concernés, les transporteurs ? 

Cécile Janique, Directrice Générale du Groupe Jean-Claude Mermet (150 personnes, 100 véhicules) est extrêmement inquiète par les mesures annoncées. « La suppression de la TICPE va couler certaines entreprises. On ne sait pas faire payer le transport au prix réel. Les clients sont habitués à ne pas payer le transport, la concurrence des entreprises low-cost qui n’ont pas nos charges constitue une concurrence déloyale. Notre profession est très contrainte et dans notre région le coût du km péage est le double de la moyenne nationale, entre 0,6 à 1 € le km. La suppression de la TICPE est une épée de Damoclès ».

Concernant la décarbonation du transport routier pour s’affranchir de la dépendance au gazole routier :

Rappelons que le fret routier émet près de 20% des émissions de CO2 en Europe, laquelle veut réduire de 90% ses émissions de CO2 d’ici 2050, avec un premier pallier de réduction de 15% en 2025 puis de 30% en 2030. L’enjeu pour les transporteurs est donc d’investir dans des camions moins polluants. Le gouvernement a d’ailleurs prorogé le dispositif de suramortissement jusqu’à la fin de l’année 2024. Ce dernier porte sur les véhicules de plus de 2,6 tonnes utilisant une énergie moins polluante : GNV, GNL, bioGNV, bioGNL, ED95.

Alexis Degouy considère que « cette ligne verte » promue par les pouvoirs publics ressemble très fortement à une exécution programmée en 2030 pour le TRM français… Car en 10 ans, cette trajectoire est non seulement intenable mais aussi contreproductive. Intenable car la disponibilité des véhicules à énergies alternatives, leur accessibilité et le développement des stations d’avitaillement sur l’ensemble du réseau ne pourront pas permettre le renouvellement d’un parc de 600 000 poids lourds, dont 98% sont encore au diesel ».

Ce constat, Cécile Janique (Transport Jean-Claude Mermet) l’a déjà fait. Elle exploite une centaine de poids lourds tous Euro6 dont 30 Oleo 100 (colza français) et 7 porteurs gaz. « L’Oleo 100 réduit de 60% les émissions de CO2, mais les coûts cachés et les contraintes sont importants. Ils nécessitent 2 fois plus de vidange. Il n‘y a aucun réseau de distribution. Il faut donc investir dans une citerne. Les charges d’entretien sont doublées. Quant aux 7 porteurs gaz ; ils sont 40% plus cher, il faut 3 fois plus de temps pour faire le plein et l’infrastructure de distribution est quasi inexistante. Or il faut renouveler 20% du parc tous les ans ! Quant à l’hydrogène et à l’électrique ce n’est même pas la peine d’en parler !»

Nathalie Versieux dans son article intitulé « Les PME du transport à la traine » paru le 26/02/21 dans l’Officiel des Transporteurs Actu-Transport-Logistique.fr (actu-transport-logistique.fr) corrobore l’analyse de M. Gheringer. Elle rappelle « que 99% des entreprises de transport comptent moins de 50 salariés » et cite une étude de Smart Freight Center (SFC) et l’université Kühne Logistics (KLU) indiquant que « La majorité des PME de moins de 20 camions (…) ne voient aucun avantage à investir dans leur propre décarbonation. Inquiets des coûts liés à l’achat de véhicules peu polluants, les petits patrons se disent également incertains des réactions de leurs clients et mal informés sur les nouvelles technologies. Ils se sentent souvent incapables de calculer eux-mêmes le montant de leurs propres émissions (seuls 43% savent le faire) et ne savent comment réduire leur consommation en carburant ».

Le cri d’alarme lancé par les fédérations n’est en rien excessif. Les dirigeants de sociétés de transport y compris de taille moyenne, s’inquiètent fortement pour leur survie et ceux qui ont les capacités de faire face à ces mesures, s’attendent à des fermetures d’entreprises concurrentes qui se traduiront inexorablement par des pertes d’emploi.